Vieillir en Inde ?

Dans ce titre, il faut noter que le signe important, c’est le point d’interrogation.

Mémoires Vives
5 min ⋅ 03/08/2023

L’été avance, début août annonce la plage et l’oubli des ennuis divers et variés, dommage cette inflation qui continue, heureusement que le petit a décroché son bac, il était temps, sinon qu’aurait-on fait de lui ? À vrai dire, ce bac ne change pas grand-chose : on ne sait quand même pas ce qu’on va faire de lui.

Le 14 juillet est passé, et s’est bien passé. Pas d’émeutes, pas de mortiers, juste des feux d’artifice, tout plus magnifiques les uns que les autres, quoiqu’un peu moins nombreux que l’année dernière. Certains maires, il faut les comprendre, ont préféré renoncer cette année à cette animation bien sympathique, on ne sait jamais, si les foules, boudant leur plaisir, s’étaient laissées aller  à la colère, la soirée aurait été gâchée, coûteusement gâchée.

À part les feux d’artifice, il y avait aussi des défilés et des cérémonies devant les monuments aux morts en France et dans les jardins de nos ambassades et consulats partout dans le monde. Les discours forts, ou émouvants, ou les deux, appelaient les participants à se réjouir ensemble d’appartenir à notre belle nation, le moment était profond, les drapeaux se mouvaient avec grâce dans des vents légers.

À Paris, le défilé était magnifique et les invités prestigieux. Le cœur tressaillait à la vue des uniformes chatoyants de brillance et de rigueur, les dynamiques fanfares donnaient envie de battre du pied en rythme sur le pavé.

L’invité d’honneur, le plus prestigieux de tous, c’était Narendra Modi, le Premier ministre indien. Il est tellement prestigieux cet invité d’honneur, qu’il s’est vu décerner, justement, la grand-croix de la Légion d’honneur.

Et, à l’occasion du 25ème anniversaire du partenariat stratégique entre la France et l’Inde, signé en 1998, lorsque notre président de la République s’appelait Jacques Chirac,  Emmanuel Macron et Narendra Modi ont décidé de rester intimes (au moins) pendant 25 ans jusqu’en 2047. On parle ici d’une intimité stratégique, n’est-ce pas. Après 2047, on verra. D’ailleurs, après 2047, au rythme où le climat se réchauffe, il n’y aura peut-être plus beaucoup d’humains sur terre. Pour l’heure, continuons à vendre plus d’armes aux Indiens, que ne le font les Américains, c’est toujours ça.

Comme toujours, des voix contraires de font entendre : comment, une telle distinction à ce dirigeant, coupable d’ultranationalisme, qui n’est pas gentil du tout (mais vraiment pas du tout) ni avec les chrétiens ni avec les musulmans, ni avec les sikhs, ni même avec les journalistes et les juges ?

Que dois-je en penser ? Pas grand-chose. Qui suis-je pour juger de la pertinence de la raison d’état, de la raison économique d’état, de la raison stratégique d’état ?

L’Inde est plus peuplée que la Chine, c’est la 5ème puissance économique mondiale, soyons clairs : nous ne pouvons pas ignorer les Indiens.

Ce pays, j’en ai tant rêvé, je l’ai tant aimé … J’ai goûté ses mets épicés dégoulinants d’huile sur les nans qui les accompagnent, ses verres de thés au lait condensé sucré parfumés à la cardamome, qui bouillonnent dans les samovars des gares des journées entières,  l’âcreté des Beedees qui écorchent la gorge, les couleurs d’arc en ciel qui tournoient sur les corps mats et sombres, ses voix stridentes et ses mélopées lancinantes. Et les odeurs, mon Dieu, les odeurs ! Tout y est mélangé : de la suavité la plus collante jusqu’à la pourriture la plus avancée. J’y suis allée, du Nord au Sud, 5 fois, peut-être 6. Je n’y suis pas retournée depuis des années. Qui sait si les Beedees, que l’on y fumait avec conviction, nous délectant de ces cigarettes de pauvres, existent encore ?

Lors de l’un de mes séjours, à Goa principalement, j’y ai écrit un abécédaire. Je vous le propose (légèrement mis à jour) en feuilleton d’été, découpé en 4 épisodes.

Mais, vieillir en Inde ? NON, bien sûr. Non, je ne vieillirai pas en Inde.

LE FEUILLETON de l’été : Fragments d’INDE,  Abécédaire

1er épisode : A à L

Marche le long de la mer, une plage de Goa, photo Sylvie Lainé 2008Marche le long de la mer, une plage de Goa, photo Sylvie Lainé 2008

A comme Ayurveda : Le mot, sanscrit, signifie « science de la vie ». Cette médecine fortement teintée de philosophie védique est née d’une révélation faite au Dieu Brahma, lorsqu’il s’éveilla pour recréer l’univers. En gros, il s’agit d’équilibrer les quatre piliers d’une vie : dharma, le devoir, artha, le bien-être et la prospérité, kama, la sensualité, et moksha, l’épanouissement spirituel. Pour y parvenir, un seul chemin : la santé (on s’en serait douté…), elle-même équilibre entre nos trois états,  physique, émotionnel, mental. Or, la santé n’est pas à la portée de tout le monde. On la perd parfois, sur la route, et privée d’elle, que peut-on faire sinon pleurer et finalement mourir, trop vite ? L’ayurveda (comme la plupart des recettes en ce bas monde) n’aide que ceux qui n’en n’ont pas besoin.

B comme Bharat : Un des noms de l’Inde. D’où celui de Bharata Natyam pour la danse indienne. Cela dit, en Inde, on peut aussi admirer des danses portugaises. À Goa. Les danseurs de danses portugaises de Goa sont généralement plus bronzés que la plupart des Portugais.

C comme Chennai, depuis 1969 capitale du Tamil Nadu, l'État indien le plus au sud. Rebaptisée ainsi en 1996, elle s’appelait Madras auparavant, le premier comptoir anglais de la compagnie des Indes. Oui, elle se trouve juste à côté (enfin, entre 150 et 160 kilomètres quand même) de Pondichéry, NOTRE Pondichéry, notre coin de France en bas du sous-continent.  

D comme Démocratie : Avec un corps électoral de plus de 810 millions d'électeurs sur à peu près 3 290 000 km2, l’Inde se présente comme la plus grande démocratie du monde. Indépendante depuis 1947, république parlementaire fédérale depuis 1950, Narenda Modi, du Bharatiya Janata Party (BJP, droite nationaliste), en est le Premier ministre depuis 2014, ayant conservé son poste après les élections de 2019. Cette immense démocratie compte 18 langues officielles - dont les deux principales sont l’hindi et l’anglais - étant entendu que la langue véhiculaire, c’est l’hinglish, mélange des deux citées. MAIS, relève le GIEC, la mousson indienne s'est très affaiblie en quelques décennies, en raison sans doute du réchauffement de l'océan Indien. Et, selon la Banque mondiale, 60 % des nappes phréatiques de l'Inde seront dans une situation « critique » d'ici 2034.

E comme Elephanta : Une fois atteinte l’île d’Elephanta, au large de Bombay, on grimpe une pente plutôt douce, bordée de marchands de babioles colorées et luisantes.  Et l’on arrive à la « cité des grottes », le sanctuaire de Shiva, construit il y très longtemps. L’architecture de ce temple rupestre creusé dans une falaise de basalte est impressionnante : piliers énormes, statues colossales de Shiva aux trois visages, le créateur, le destructeur, le protecteur qui préserve. On trouve aussi des représentations de son mariage avec sa chère et tendre, la déesse Parvati. Et une autre où il est Parvati ET Shiva, unissant les deux sexes en un parfait accord, pardon, les deux genres. Comme quoi, ces deux-là étaient en avance sur leur temps. Au fait, pourquoi Elephanta ? L'île doit son nom aux Portugais qui trouvèrent la statue d'un éléphant près de l'endroit où ils débarquèrent.

F comme Fakir : Je reconnais, c’est facile…

G comme Ganesh : Le Dieu éléphant de l’intelligence. Est-ce grâce à lui que l’Inde « produit »  environ des centaines de milliers d’ingénieurs par an ? 

G. c’est aussi l’initiale de Gandhi, assassiné le 30 janvier 1948 par un fanatique hindou. Il avait bien raison, le Mahatma, lorsqu’il enseignait que si l’on veut changer le monde, il faut commencer par soi-même. 

H comme Hindutva : Il s’agit de l’ « Hindouité », concept qui identifie la nation indienne à son seul héritage hindou. L’Hindouisme, qui perdure depuis près de 3500 ans, plus qu’une religion, est un univers. Riche et coloré. Qui ne célèbre aucun fondateur, et ne reconnaît aucune autorité centrale… mais des centaines, voire des milliers de divinités, une mosaïque de cultes divers, de croyances populaires, de traditions locales, un système de castes aboli mais bien vivant, quoiqu’on en dise, et, chaque jour, une fête ici ou là… Si des centaines de millions d’Indiens sont Hindouistes, quelques autres nombreux millions sont Musulmans, et quelques millions d’autres, Chrétiens, Sikhs, un peu moins nombreux sont les Bouddhistes, puis viennent les Jaïnistes et les Parsi.  Le Jaïnisme est - sans doute - la religion la moins violente de la terre : ses prêtres portent des masques visant à éviter à de minuscules et malheureux insectes de périr dans leur bouche.

I comme Inde : « L’Inde, c’est une anarchie qui fonctionne. », écrivait John Kenneth Galbraith, bien connu comme  économiste et beaucoup moins comme ambassadeur des USA en Inde.

J comme Jeunes : L’Inde est un pays jeune. En 2004, un Indien sur deux avait moins de 25 ans. Statistiquement, on compte donc davantage de jeunes riches en Inde que chez nous en Europe.  Comme il y a AUSSI davantage de jeunes pauvres. Et des adultes pauvres, des vieux pauvres, et des enfants pauvres.  Plus des deux tiers de la population vivent avec moins de 2 dollars par jour.

K comme Kshatriya : L’une des - innombrables - castes, celle des guerriers. Les quatre grandes catégories - les varna ou castes -  sont, outre les Kshatriyas, les Brahmanes (= dieu sur terre ), les prêtres, au sommet de cette échelle d’origine religieuse, les Vaishya, les commerçants, les Shudra, les serviteurs. Hors du système, on trouvait les Dalits (= opprimés, autrefois intouchables). Mais aujourd’hui, les basses castes forment des partis puissants aptes à s’emparer du pouvoir. Pour en savoir plus, le mieux est de se plonger dans l’ouvrage de Christophe Jaffrelot, « La démocratie par la caste » (Fayard), qui n’a pas pris une ride depuis sa parution en 2005. Et, bien sûr, du même auteur et chez le même éditeur, sorti en 2019 : « L’Inde de Modi : national-populisme et démocratie ethnique. »

L comme Lentilles : Quand elles sont jaunes, et cuisinées dans une sorte de ragoût d’une douceur épicée, elles s’appellent dhal, et sont délicieuses. Avec cela, on boit un verre de lassi – un yaourt sucré ou salé, épicé ou nature –, on mange un nan, un chapati, un roti, bref un pain, délicieux également.

À suivre …

Mémoires Vives

Par Sylvie Lainé

Auteure d’ouvrages de management et essais personnels, conférencière. Curieuse de tout, de rien, de ce qui passe, des informations venues du monde qui change, des paysages, des gens.

Parcours professionnel : stratégie, communication institutionnelle, management, conduite de changement, ingénierie et animation de formation comportementale, coaching de dirigeants et équipes de direction, évolution culturelle des organisations, négociation et communication interculturelle.

Langues d'intervention : français, anglais, italien

Les derniers articles publiés