Place aux textes des abonnés eux-mêmes avec VERBATIM DES SAISONS. Dans ce 2ème opus, VERBATIM D'HIVER, on revient (oui, encore) sur les Jeux Olympiques, Vienne et l'élection américaine, on réfléchit face à l'incertitude, et on lit une lettre d'Afghanistan avant de partir pour le Guatemala. Illustration d'ouverture : photo personnelle
JEUX OLYMPIQUES : LE RETOUR
VIENNE, MON VIEIL AMOUR
REFLEXIONS SUR L’INCERTITUDE
DONALD, WOULD YOU LIKE TO PLAY CARDS WITH ME?
À L’AUTRE BOUT DU MONDE : LETTRE D’AFGHANISTAN
L’ÂGE D’AGIR : À L’OUEST, DU NOUVEAU ?
Dans le n°16 de Joyeuses Saisons - ‘La fête est finie’ -, Dominique de Vincennes évoquait en un commentaire mesuré la fin des JO de Paris. Rappelons-en la synthèse :
Je confesse n'avoir qu'un médiocre enthousiasme à assister directement ou par petit écran interposé à des manifestations sportives. Ce peut être un spectacle distrayant et je respecte ses adeptes. Mais, derrière le spectacle, je ne vois plus guère l'engagement que préconisait Coubertin. L'abandon quasi généralisé, dans tous les sports, de l'amateurisme et la place primordiale de l'argent est, à mes yeux, un dévoiement condamnable. Que recherchent les princes qui nous gouvernent : nous faire oublier les autres soucis et problèmes lancinants, comme la sécurité, l'endettement catastrophique et la progression de la drogue dans le pays ?
En cette fin d’hiver, respirons un parfum d’été avec Xavier, prolixe contributeur parisien qui répond en un propos, disons moins mesuré - à ce commentaire :
Mon regard n’est pas celui de Dominique de Vincennes, qui bien au-delà de l’indifférence indiquée en liminaire de son propos, se pose, dans son détachement de l’évènement, les vraies questions du sens originel que cette fête a peut-être perdu. Et cela m'autorise à dire qu’elle n’est peut-être pas aussi belle qu’il est convenu de dire.
La plus belle fête fut à mon avis la fête intérieure des sportifs qui vivaient une émotion récompensant les efforts qui les avaient conduits à être acteurs de l’événement. Cette émotion n’appartient qu’à eux. Est-elle partageable ? Je ne le crois pas. Je ne peux la ressentir. Dès lors la fête publique, la fête “pour tous” devenait une belle pièce de théâtre, bien jouée, bien écrite, avec de beaux décors … Dommage : je suis hélas un très mauvais spectateur lorsque l’acteur devient idole de sa propre mise en scène. Spectateur lointain, l’événement ne me concernait pas et je me suis contenté d’en gérer les contraintes. En outre, il s’agissait d’une fête imposée. La réflexion de Dominique de Vincennes invitait justement à se poser la question de son sens véritable.
Je n’ai pas partagé ce sentiment rassurant de dilution dans un collectif festif qui vous dépasse. Il me manquait le préalable : un sentiment d’appartenance à ce collectif. Je sais, la question est dérangeante. La bienséance serait peut-être de dire le contraire pour ne pas déplaire. Mais j’accepte l’hypothèse que nous vivons encore en régime politique de libre émotion, qui autorise les émotions divergentes de la majorité. Dans le cas contraire, il faudrait faire semblant d’être enthousiaste par crainte d’une menace pour son intégrité physique ou intellectuelle. Laissons ces peurs à d’autres temps ou d’autre lieux. Laissez-moi profiter de ce pays qui est le nôtre où l’émotion a encore le droit d’être libre, c’est-à-dire de ne pas s’exprimer au juste moment social. Je me réjouis d’échapper à l’obligation de me diluer dans une émotion officielle.
Décidément en verve, Xavier de Paris retourne en Autriche et s’attarde à Vienne :
Vienne entretient avec le temps cette relation d’un passé disparu pour s’alanguir dans la douceur d’un présent confortable. Territoire devenu mouchoir de poche alors qu’elle fut le centre d’une dynastie sur l’empire de laquelle le soleil ne se couchait jamais1. Vienne fut au moment de son apogée (1910 ?) à l’avant-garde européenne, multi-toutes choses, inventant la modernité dans l’art et les combats sociaux. Bien moins allemande qu’elle ne l’est aujourd’hui lorsqu’elle rivalisait avec Paris et Londres, elle était par le nombre de ses résidents la deuxième ville magyare ou la deuxième ville tchèque. En 1928, Robert Musil avait créé à son image un pays imaginaire, la Cacanie, un savant mélange « impérial et royal » d'absurdité administrative et de poésie. Il décrivait ainsi ce pays où : « La Constitution était libérale, mais le régime clérical. Le régime était clérical, mais les habitants libres penseurs. Tous les bourgeois étaient égaux devant la loi, mais, justement, tous n’étaient pas bourgeois". Dans les armoires de ses souvenirs, Vienne ne cache pas que des robes à crinoline virevoltant sur les valses, mais aussi le bruit des bottes qui charmèrent ses oreilles avant qu’elle ne connût la fureur des bombardements de la fin d’un égarement encore présent dans son être politique. Vienne est une ville associée à l'oubli du passé et à la mort. Elle est la ville de la mémoire oubliée, par deux fois : involontairement après avoir connu l'apocalypse (la fin de la monarchie) puis volontairement (oublier l'époque nazie). L'expérience de l'apocalypse individuelle (la destruction de soi) entrainerait-elle des comportements collectifs extrêmes ? Ce pays entretient de curieuses relations avec l'extrémisme. Elle fut Vienne la rouge… avant de flirter avec le noir. Retournons voir l’étonnante trilogie cinématographique d’Axel CORTI « Welcome in Vienna » (réalisée entre 1982 et 1986) pour comprendre qu’aller voyager dans sa mémoire n’est jamais confortable. (Lire aussi le scénario du film édité par Lett Motif en 2014, voir image). Et Vienne a inventé la psychanalyse... cette étrange recherche entre pulsion de vie et pulsion de mort. Une question sans avenir : peut-on encore être vivant après avoir été mort ?
1 : HELP! La rédaction en chef de ce support qui se veut précis s’interroge : ne serait-ce pas plutôt l’empire britannique sur lequel le soleil ne se couchait jamais ?
Le n° 17 - ‘Renouer avec l’incertitude’ - et notamment l’article ‘Face à l’incertitude, vite du rouge à lèvres’, outre qu’il a réjoui Léo de Paris (“Superbe newsletter sur l’incertitude. C’est un sujet qui parle à tout le monde, on est tous touchés d’une manière ou d’une autre par un sentiment d’incertitude aujourd’hui.”) et Marion du Pouliguen ( “J'ai adoré l’article sur le rouge à lèvres. Je m'y suis reconnue. De la coquetterie en temps de récession, pour garder la tête hors de l'eau…”), a également inspiré Dominique de Vincennes :
Une réflexion suscitée par ce très judicieux distinguo entre risques et incertitudes… J’ai rapproché la définition donnée de la situation vécue pendant la COVID. Nous étions manifestement dans une grande période d'incertitude :"une situation où les agents économiques n’avaient aucun moyen de prédire la probabilité que des événements se produisent". Il y a pourtant une catégorie d'individus dont on attend qu'ils contribuent à réduire l'incertitude : les experts. Or les experts ont failli en 2021-2023 ! Ou, plutôt, les vrais experts étaient aux abonnés absents, laissant la place sur les ondes et les réseaux sociaux aux saltimbanques de la communication ou, pire, aux experts autoproclamés tel le fameux Professeur Raoult. Ces experts de pacotille n'ont fait que distiller le doute, promettre la lune et renforcer l'incertitude (sur l'origine de la maladie et la façon de la traiter). Pour la vaccination (contre la COVID ou la vaccination en général), on a assisté au même phénomène, plutôt que de parler des risques comparés (10 fois plus grand en ne se faisant pas vacciner que l'inverse), on a monté en exergue les incertitudes inhérentes à toute vaccination car les réactions individuelles sont naturellement dispersées. Votre message, je l’interprète ainsi "mesurons et connaissons les risques qui, généralement, peuvent se probabiliser, plutôt qu'insister sur les incertitudes, difficilement mesurables et par nature anxiogènes car l'être humain n'aime pas ça".
Yves de New-York ne décolère pas :
Hélas, 3 fois hélas ... On est bien loin de la démocratie dont Alexis de Tocqueville vantait les mérites, qui devait éviter qu'un individu aux racines germaniques néo-nazi armé jusqu'à la perruque soulève l'enthousiasme de péquenots évangélistes dont le seul moyen de survivre est de collecter les subsides de l'Etat fédéral accusé de marxisme. Ça me donne envie d'avaler mon passeport américain... Douce France...
Quant à Xavier, oui toujours de Paris, pour une fois il modère…
J’ai en mémoire la parole d’un lobbyste californien, il y a trente cinq ans, qui me rappelait que la démocratie c’est d’abord ce pour quoi ou pour qui les gens ont voté et le gagnant est …. Trump... car le peuple étasunien a voté ! Un ami me dit : « les pauvres ne sont pas tous à gauche, comme les riches ne sont pas tous à droite (NDLR – j’ai cependant un doute). Par contre beaucoup croient au Père Noël, c'est comme ça partout depuis que la politique s'est monétisée... Ma crainte est plus simple, à savoir que le discours qui permet à D. TRUMP d'avoir été élu est le seul qui permettra maintenant d’être élu et que c’est cela le nouveau contenu de la démocratie … Même si être pauvre et voter républicain et surtout Trump, c’est peut-être un peu comme une dinde qui voterait pour Noël.
Françoise de Paris, Présidente du Club France-Afghanistan, nous propose la lecture de son article paru le 7 février dernier dans la ‘Revue Politique et Parlementaire’ : ‘Afghanistan, femmes et talibans’. “J’ai choisi l’humour-cynique pour parler de l’innommable”, écrit-elle. En voici quelques extraits :
Il y a des pays, que l’on pourrait qualifier de civilisés ou modernes, dont les populations accordent de plus en plus d’importance au bien-être animal. C’est le cas particulièrement des poules pondeuses. Il a été prouvé que ces gallinacées avaient un meilleur rendement en quantité et qualité d’œufs pondus lorsqu’elles étaient élevées dans de bonnes conditions d’hygiène, de nourriture et d’accès à la prairie. Ainsi, le label « poules élevées en plein air » fait-il désormais la différence pour l’achat d’une boîte d’œufs. Ce qui est valable pour de simples volatiles l’est aussi pour différents mammifères pour lesquels la qualité de vie permet une production optimale de ce pourquoi on les élève.
Il semble donc que les talibans ne soient pas en mesure d’appliquer ces règles de bon sens à la production de leur progéniture. En effet, ils considèrent que la femme afghane n’est qu’un vecteur destiné à procréer, n’ayant aucun des droits universellement reconnus à tout être humain. Pour eux, la femme ne doit pas être instruite, elle doit vivre enfermée sans aucune vie sociale, elle doit être exclusivement au service de son mari, lui faire des enfants et les élever. Corvéable à merci, elle ne doit pas se plaindre, et lorsqu’elle ne remplit plus son office, il est d’usage d’en changer. Ainsi, nul besoin de s’intéresser au fait que la femme afghane soit heureuse ou pas, épanouie ou non… Et qu’importe donc la santé des enfants qu’elles sont en demeure de faire ! Plus loin : Elles sont condamnées à la prison à vie dès leur naissance pour le seul crime d’être nées de sexe féminin. Nulle part au monde un groupe humain n’est ainsi traité à l’échelle de tout un pays. (…) Alors en reprenant l’image de la lutte contre la souffrance animale, les talibans devraient se poser la question de la qualité de leur progéniture sur le moyen et long terme. Des femmes devenues de plus en plus dépressives, malades, manquant de grand air et de vie sociale, ne pourront pas produire des enfants robustes et sains. Ainsi, l’avenir de la qualité des futurs talibans risque-t-il de devenir problématique. Au-delà du cynisme, la situation d’une telle mise à l’écart des femmes et des filles de ce pays crée une véritable bombe à retardement en matière sanitaire. Les enfants ne sont plus vaccinés, il n’y a plus d’infirmières et encore moins de femmes médecins pour soigner les femmes, il n’y a plus de formation ou même d’information et de prévention sanitaire pour les femmes et les mères. (…) Plus loin : La Cour Pénale Internationale, la CPI, vient de timidement engager une procédure pour crime contre l’humanité contre deux hauts responsables talibans…
Avez-vous envie de lire la suite ? C’est par ici : Afghanistan femmes et talibans - Revue Politique et Parlementaire
Et pendant que vous y êtes, découvrez sur YouTube la vidéo de la très belle soirée culturelle des associations FemAid et Nayestane : des chants et des danses par des Afghanes filmées en secret : https://www.youtube.com/watch?v=LxL9pktRmCQ
Photo S.Lainé 2011, temples maya émergeant de la jungle
À l’Ouest, assez loin (en tout cas de l’Europe), partons pour le Guatemala, pays chatoyant où sévit régulièrement l’ami Jean-Pierre de Nice, producteur vedette de feuilletons pour Joyeuses Saisons. Après ses péripéties afghanes, il nous entraîne vers le monde maya, étonnant mélange de jungle, de violence et de beauté, avec un nouveau feuilleton : Chroniques du monde maya, dont nous vous livrons les premières lignes du premier épisode :
10 juin 2013
Le Guatemala est un pays extrêmement attachant. Il se compose d’une incroyable variété, sur un si petit territoire (moins de 110.000 kms2), de populations, de sites, de paysages, de couleurs, de relief, de langues, et la gentillesse naturelle des Indiens, les descendants des Mayas, n’a d’égal hélas que la violence qui règne dans ce pays au quotidien, et la misère dans laquelle les maintient la douzaine de « grandes familles » qui détient les clés de l’économie. Certes, depuis la signature d’un accord entre le gouvernement et la guérilla, en 1996, la paix civile est revenue et les massacres des populations indiennes ont cessé. Mais une nouvelle sorte de violence, dans ce pays où la vie humaine n’a aucune valeur, est apparue, liée au trafic de drogues, à la corruption, au racket, et on dénombre en moyenne une bonne quinzaine d’assassinats par jour dans le pays (un peu plus de 14 millions d’habitants). Ce sont cependant des assassinats « ciblés », et le pays ne connaît ni attentats ni attaques aveugles, et les touristes étrangers ne sont jamais inquiétés…
La suite ? Dans nos parutions à venir, attendez le n°21, 22, 23 etc… Pour aujourd’hui, contentons-nous de relayer un appel de notre ami Jean-Pierre de Nice, également trésorier d’une modeste association ‘Dialogue Jeunesse et société’, dont le mantra est ‘Du dévouement de quelques uns dépend la vie de beaucoup d’autres.’. Active un peu partout dans le monde, l’association sélectionne des micro projets : reconstruction d’un hameau détruit par un tremblement de terre, financement de l’éducation d’une fratrie isolée, aide alimentaire à un ensemble de familles identifiées. Nombre de ces projets ciblent le Guatemala, dont les souffrances sont peu médiatisées, allez savoir pourquoi. Mais, lorsqu’on aime ce pays, c’est le cas des adhérents de ‘Dialogue Jeunesse et société’ - et c’est aussi le mien - il y a de quoi agir. Naturellement chaque don à l’association, d’intérêt général (n°83/1535 - J.O. du 17.6.1983) fait l’objet d’un reçu fiscal.