Peut-on espérer retrouver (un peu) de légèreté en 2024 ?

Est-ce bien raisonnable ? Retrouver l’envie de sourire malgré la barbarie du monde ?

Mémoires Vives
13 min ⋅ 30/01/2024

Peut-on espérer retrouver (un peu) de légèreté en 2024 ? Est-ce bien raisonnable ? Retrouver l’envie de sourire malgré la barbarie du monde ? C’est le sens de cette carte de vœux en clin d’œil proposée  par Fulvio de Milan ( https://www.behance.net/fulvio6895 ).

Dessinateur, illustrateur, journaliste free lance, il raconte les incongruités de notre temps en bandes dessinées, avec humour et talent. Merci à lui, nous le retrouverons dans quelques numéros en feuilleton !  

Quant à la légèreté, elle n’a pas bonne presse. Ainsi  le philosophe Günther Anders (1902 – 1992) - le mari de Hannah Arendt – aurait-il écrit en 1956 dans son livre L’obsolescence de l’homme : « Pour étouffer par avance toute révolte, il ne faut surtout pas s’y prendre de manière violente. (…) Il suffit de réduire le niveau et la qualité de l’éducation (…). Un individu inculte n’a qu’un horizon de pensée limité et (…) moins il peut se révolter. (…) On occupera les esprits avec ce qui est futile. (…) On fera en sorte de bannir le sérieux de l’existence, (…) d’entretenir une constante apologie de la légèreté; de sorte que l’euphorie de la consommation devienne le standard du bonheur humain.».

Aurait écrit ? Si ce propos est inspiré d’un chapitre de L’obsolescence de l’homme, ce ne sont pas les mots de Günther Anders mais de Serge Carfantan, professeur agrégé de philosophie qui les a écrits en 2007 sur le blog de son site www.philosophie-spiritualite.com (leçon 163 : Sagesse et Révolte). Il s’agissait, selon lui, d’une prosopopée consistant en l’espèce à parler comme un personnage du Meilleur des Mondes (Brave New World) d’Aldous Huxley, paru en 1932, réédité en 1946. Dans la préface à cette 2ème édition, Huxley écrivait lui aussi : « La dictature parfaite serait une dictature qui aurait les apparences de la démocratie, une prison sans murs dont les prisonniers ne songeraient pas à s’évader. Un système d’esclavage où, grâce à la consommation et au divertissement, les esclaves auraient l’amour de leur servitude. » Or, selon Serge Carfantan, « Tous les ingrédients de ce roman sont aujourd’hui effectivement réunis pour que le scénario soit en passe d’être réalisé. ».

En devenant des consommateurs, aurions-nous cessé d’être des citoyens ? La légèreté détournerait-elle d’une observation raisonnée du monde qui nous entoure et des tyrans qui nous guettent ?

La question vaut qu’on s’y attarde dans une prochaine lettre. Mais restons aujourd’hui sur cette aspiration à la légèreté. La pratiquer n’est pas nécessairement mauvais ou dangereux. Elle n’aveugle pas toujours, ni ne détourne des réalités. Tout est affaire de mesure, comme en toutes choses. La légèreté, dont l’un des moteurs est l’humour, permet de prendre du recul sur ce qui dérange, de consoler la douleur physique ou morale, d’éloigner les drames un moment, une minute, un instant, pour espérer y survivre.

En savoir plus : http://www.philosophie-spiritualite.com/cours/sagesse_revolte.htm

Merci à Jacqueline Dupuis d’avoir initié cette conversation sur Linkedin et aux enseignements du site : https://www.mathemathieu.fr/art/articles-divers/85-huxley-prosopopee

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Certains vœux d’antan faisaient preuve d’une certaine légèreté. Pas si d’antan que cela, d’ailleurs : celui reproduit ici n’a que 10 ans.  Il tendait à faire sourire pour inciter à réfléchir à quelques excès contemporains.

« Chers Amis, 

Après consultation de notre avocat, nous vous adressons les vœux qui suivent : nous vous prions d'accepter, sans aucune obligation implicite ou explicite de votre part, nos vœux, à l'occasion du solstice d'hiver et du premier de l'an, en adéquation avec la tradition de la région d’expédition, bien sûr dans le respect de la tradition et des valeurs des autres, ou dans le respect de leur refus, en la circonstance, de traditions, religions ou valeurs, ou de leur droit de manifester leur indifférence aux fêtes populaires programmées.

Ces vœux concernent plus particulièrement :

- la santé, ceci ne supposant de notre part aucune connaissance particulière de votre dossier médical, ni une quelconque volonté de nous immiscer dans le dialogue confidentiel établi avec votre médecin traitant ou votre assureur ;

- la prospérité, étant entendu que nous ignorons tout de la somme figurant sur votre déclaration de revenus, de votre taux d'imposition et du montant des taxes et cotisations auxquelles vous êtes assujettis ;

- le bonheur, sachant que l'appréciation de cette valeur est laissée à votre libre arbitre et qu'il n'est pas dans notre intention de vous recommander tel ou tel type de bonheur.

Nota Bene : Le concept d'année nouvelle est ici basé, pour des raisons de commodité, sur le calendrier grégorien, qui est celui le plus couramment utilisé dans la vie quotidienne de la région à partir de laquelle ces vœux vous sont adressés. Son emploi n'implique aucun désir de prosélytisme. La légitimité des autres chronologies utilisées par d'autres cultures n'est absolument pas mise en cause. De même, l'emploi de la langue française ne sous-entend aucun jugement de valeur. Son choix tient au fait qu'elle est celle couramment pratiquée par l'expéditeur. Tout autre idiome a droit au respect tout comme ses locuteurs.

Clause de non responsabilité légale :

En acceptant ces vœux, vous renoncez à toute contestation postérieure. Ces vœux sont librement transférables à quiconque, sans indemnités ni royalties. Leur reproduction est autorisée. Ils sont valables pour une durée d'une année, à la condition d'être employés à l'usage personnel exclusif du destinataire. À l'issue de cette période, leur renouvellement n'a aucun caractère obligatoire et reste soumis à la libre décision de l’expéditeur.

Ils sont adressés sans limitation liée aux notions d'âge, de genre, d'aptitude physique ou mentale, d'ethnie, d'origine, de préférences sexuelles, de régime alimentaire, de convictions politiques, religieuses ou philosophiques, d'appartenance syndicale, susceptibles de caractériser les destinataires. Leurs résultats ne sont, en aucun cas, garantis, et l'absence, totale ou partielle, de réalisation n'ouvre aucun droit à compensation. En cas de difficultés liées à l'interprétation des présentes, la juridiction compétente est le Tribunal habituel du domicile de l’expéditeur. »

Il vous reste à emprunter ce texte pour formuler vos prochains souhaits ! Vous l’avez lu : sa reproduction est autorisée.

Sept parutions de cette info lettre dédiée à l’infinie légèreté de la vieillesse : trop peu pour un bilan, trop tôt pour un succès... !Sept parutions de cette info lettre dédiée à l’infinie légèreté de la vieillesse : trop peu pour un bilan, trop tôt pour un succès... !Trop peu pour un bilan, trop tôt pour un succès, d’autant moins qu’elles n’étaient, jusqu’alors, pas numérotées. Avec sa 8ème parution, elle a gagné le droit d’être numérotée : il est pratiquement sûr maintenant qu’elle est durable. Sa périodicité, approximative, se rapprochait du mensuel, donc elle est adoptée et doit être annoncée, comme l’année. Bienvenue au n°8 de janvier 2024 de l’info lettre Joyeuses Saisons !

Comment ont réagi ses premiers abonnés qu’il convient de remercier chaleureusement ?

Retour sur l’Inde revenue dans l’actualité ; si Joe Biden décline les invitations à s’y rendre, notre président les accepte, nous avons tout de même des produits à vendre, dont certains dangereux à manier. Respectons les clients de nos produits, respectons leurs territoires.

Le pays faisait l’objet d’un article dans le n°3 d’aout - Vieillir en Inde -, et de l’abécédaire en feuilleton qu’il inaugurait. Etait évoqué l’honneur fait à Narendra Modi, Premier ministre indien : il s’était vu remettre la grand-croix de la Légion du même nom.

Cette reconnaissance, raison économique d’état, avait froissé certains abonnés. Je cite un commentaire, plutôt grinçant : «  c'est ce qu'on appelle avec pudeur la "realpolitik", appellation plus présentable pour dire "lâcheté de la communaté internationale" .... ce n'est pas un scoop : il suffit de lire l'Histoire pour voir que c'est cette lâcheté qui est à l'origine de tous les malheurs du monde depuis toujours ...  Ainsi, je ne donne pas cher de ce qui reste de la peau des femmes afghanes ... mais ce n'est qu'un petit exemple qui d'ailleurs n'intéresse quasiment plus personne. »

Avez-vous reconnu l’auteur des Chroniques afghanes ?

Quant à l’abécédaire, il avait été largement apprécié (oui, plaidoyer pro domo) : « Merci, merci ! J’attends la suite de l’alphabet … et bravo pour ces news ! », « Votre feuilleton d'Inde est malheureusement terminé à cause de notre alphabet, qui ne comporte que 26 lettres ; on regrette qu'il n'en ait pas le double pour profiter encore de vos coups de projecteur évocateurs. Pourriez-vous le reprendre à l'envers ? » ou : « Continuez à nous faire ainsi voyager dans le temps, l'espace et l'esprit. »

Le n°5, Dialogue de rentrée, d’octobre, qui portait une sorte de leçon de choses, pardon de genres, a, semble-t-il, été utile.  « Je pourrai enfin briller dans les dîners en ville en étant incollable (si j'arrive à bien retenir la leçon) sur les subtiles catégories des LGBT...etc. » Autre exemple : « Je pourrai enfin deviner qui vient dîner ce soir… » ou encore : « Merci de cet éclairage, je n’avais pas tout compris. »

Never Again - Plus jamais ça -, n°6 paru en novembre avait, c’est bien normal, suscité des remerciements et l’émotion de ceux qui se sentaient proches des victimes du 7 octobre. Parmi eux, tous, heureusement, n’étaient pas des co religionnaires de ces victimes. Mais le fait que  j’ai approuvé le geste de Gilad Erdan, ambassadeur israélien à l'ONU, qui avait accroché sur sa veste une étoile jaune avec l’inscription Never Again  lors d’une réunion du Conseil de sécurité en a froissé certains. Ainsi, une abonnée m’écrivait-elle : « J'ai été très choquée de cette étoile jaune affichée.  On a,  à mon avis, de plus en plus tendance à banaliser la Shoah, que je considère comme le mal absolu.  Vouloir exterminer des personnes vivants dans tous les pays du monde ne saurait se comparer à un acte terroriste, aussi épouvantable,  abominable soit-il, visant à supprimer l'existence d’un pays. »

Le n°7 de décembre MEILLEURS VIEUX ! a suscité les commentaires les plus positifs (pas moyen de faire rougir le texte de contentement).  

De simples « Bravo ! » ou « Merci de ce beau texte, bien que pas très réjouissant je l’avoue … » ou « Je me suis délecté de votre éloge de la vieillesse, que je ne peux que partager, cela va de soi. » ou : « Bravo pour cette dernière lettre de l'année, pleine d'esprit et comme toujours écrite avec allure ! », et ceci : « Génial l’article sur meilleurs vieux ! J’ai adoré. Et magnifiquement écrit ! » « De quoi bien finir 2023 ! ». 

Assez de vivats ! Ce numéro a généré également quelques conseils : «  À nos âges, il ne faut pas : se regarder dans la glace, se plaindre de ses bobos, raconter ses malheurs, raconter ses médecins, râler sur tout, traîner les pieds en marchant… et il faut surtout : toujours sourire, toujours dire merci, rire… et rire encore, aller au cinéma, lire, recevoir ses amis, soigner son apparence ! Et bien sûr, il faut penser à son avenir : ne pas négliger la prière et la messe ! »

Ce numéro m’a d’ailleurs valu une sérieuse mise au point précise et documentée sur les concepts de pauvreté et de richesse : « Un petit détail m'a fait tiquer. Vous reprenez  le terme de "seuil de pauvreté" pour montrer que plus on est riche plus on devient vieux, mais la réciproque n'est-elle pas vraie aussi ? C'est parce qu'étant vieux, l'on est, en règle très générale, retraité et l'on a des revenus plus élevés que la moyenne des actifs. C'est la traduction bien française et bureaucratique de la grille des salaires à l'ancienneté.  Mais la question n'est pas que là. Le "seuil de pauvreté" est une notion très conventionnelle voire arbitraire. En France (comme dans d'autres pays européens), on le définit comme étant égal à 60% du salaire médian. Pourquoi 60% et pas 20, 40 ou 70, ne me le demandez pas, c'est comme ça !  Cela veut dire que l'on est "pauvre" si ses revenus (salaire, pension, allocations diverses) sont inférieurs à 60% du revenu médian mensuel (soit 0,6X2587=1552€ en 2023). Ce n'est pas un pactole, mais ce n'est pas négligeable non plus et ce n'est pas l'indigence. La pauvreté est  évidemment une notion relative. Comparé au revenu moyen d'un Zaïrois (environ 50€ mensuels), un "pauvre" français passerait pour un nabab. Il est vrai que peu de pauvres en France songent à s'établir au Zaïre … En fait on est pauvre quand on sait qu'il y a plus riche - et beaucoup plus riche - que soi. On pourrait même soutenir que tout individu dont les revenus sont inférieurs au revenu médian se sent pauvre puisque plus de la moitié de la population a des revenus supérieurs aux siens. La notion de "riche" n'est guère plus simple (2, 3 fois ou plus que le revenu médian ? (…). ». 

C’est bien enregistré, pour l’avenir, je manierai ces concepts avec une grande prudence … Promis.

Mais ce sont les Chroniques afghanes qui ont déclenché le plus d’effroi. Deux exemples : "Quant à l’Afghanistan, je me demande si ça a été un jour un état... Au fond, sauf à Kaboul peut-être, dans les quartiers de privilégiés, je n'ai jamais vu de femme, seulement des ombres grises ou noires. Alors l’égalité ? Un concept d'occidentaux enrichis ? Mon seul vrai regret, c'est qu'ils soient passés du tromblon aux armes de destructions massives... fournies par la Russie et les US. D’ailleurs, question : ça se passe comment dans les anciennes républiques soviétiques, de l'autre coté de la frontière ? Cela étant: BRAVO pour ce feuilleton. » « La chronique afghane est "glaçante", (…). Comme nous avons la chance de connaître la suite, on s'interroge sur l'aveuglement de ceux (notamment les américains) qui n'ont rien vu venir ou qui, pire, ont préféré abandonner la partie plutôt que de contrecarrer ces "fous de Dieu". »

ASSEZ, il est temps de s’éloigner de la légèreté … Retournons en Afghanistan.

Auteur : Jean-Pierre de Nice

Je veux relayer les cris silencieux qui nous viennent de si loin. C’est pourquoi je vous propose un « archéo feuilleton » en quelques épisodes que je dois à l’un de mes chers abonnés, qui, comme moi, a vécu, en Afghanistan (lui plus longtemps et souvent que moi).

 Les chroniques afghanes sont mes souvenirs afghans, mes « Nouvelles du front » puisés dans mes courriels à mes proches et amis. Appartiennent-ils à l’histoire ? 2006, est-ce si loin ? Hier ressemble-t-il à aujourd’hui ?Jugez-en…

4ème épisode : Kaboul, Novembre 2006

Les éléments se déchaînent. Après une journée de trombes d’eau, qui a eu au moins le mérite de coller par terre la poussière envahissante, le ciel s’est mis au gris et il fait frais.

Toutes les informations convergent pour dire que l’étau se resserre autour de Kaboul. On vient d’arrêter aux portes  la ville un candidat kamikaze qui allait benoîtement se faire exploser à la mosquée Puli-Khishti, l’une des plus fréquentées de la ville (rassurez-vous : je n’y vais jamais), pour la modeste somme, tout de même, de 1 million de roupies pakistanaises (environ 16.000 dollars) qu’un mollah généreux avait promis de remettre ensuite à sa famille, lui-même, selon ledit mollah, devant se contenter du paradis immédiat (et aussi, quand même, des fameuses 77 vierges). Mais où diable trouvent-ils encore autant de vierges, vu le nombre grandissant de kamikazes ? Il paraît d’ailleurs que ce nombre important est sorti de nulle part, car il n’est pas précisé dans le Coran.

Heureusement, sinon une grave question théologique se poserait aux oulémas : les femmes  kamikazes (un seul exemple à ce jour, et encore, dans un pays assez lointain. Le problème ne serait donc pas crucial). ont-elles droit à 77 puceaux lorsqu’elles vont rejoindre Allah après s’être fait exploser ?

Il flotte tout de même encore en ville, je vous l’écrivais, un « parfum de décontraction », un peu comme si tout le monde pensait qu’il fallait en profiter avant que ça se gâte. Il y a des cerfs-volants dans le ciel (une vieille tradition afghane, naturellement formellement interdite du temps des Taliban), toujours quelques airs de musique provenant d’un transistor ou d’une fenêtre ouverte, ou des voitures de quelques membres de la « jeunesse dorée » kaboulie, quelques fleuristes décorant des voitures de jeunes mariés… Un peu de joie.

La question des femmes et des filles reste un thème récurrent dans la presse locale et les préoccupations de la communauté internationale. Il y a manifestement un conflit larvé de plus en plus aigu entre les tenants de la libération de la femme (essentiellement, pour ne pas dire uniquement, les Occidentaux présents dans le pays) et les partisans « du bon vieux temps », de la tradition et des principes. Il est vrai que le débarquement massif de la « culture » et des « valeurs » occidentales en Afghanistan est un peu difficile à absorber pour une société quasi tribale, étouffée par des siècles d’obscurantisme, manipulée par des vieillards aussi libidineux qu’impuissants et n’ayant donc d’autre préoccupation que d’imposer leurs frustrations aux autres, analphabètes pour la grande majorité, et inquiète que cette vague de liberté ne finisse par faire éclater l’ensemble de la société afghane. Quelques signes d’un « progrès », selon en tout cas nos propres critères, sont visibles : les filles sont scolarisées, les femmes peuvent travailler, les tenues vestimentaires sont moins contraignantes, et depuis peu on voit même quelques femmes, pionnières inconscientes, conduire, et même monter, seules, dans un taxi conduit par un homme ! Mais il s’agit surtout de Kaboul, éventuellement de quelques grandes villes, et le cadre familial échappe le plus souvent à cette esquisse de libertés (salaire des femmes remis entièrement au mari, au père ou au frère, persévérance de la vente des filles dès leur puberté dans des mariages arrangés, etc).  Un éditorial a récemment appelé les femmes afghanes à « lutter pour leurs droits humains et islamiques, sans pour autant tomber dans les erreurs des femmes occidentales », c’est à dire, selon ce journal, « l’esclavage sexuel et économique » (sic).

Si la plupart des ONG sont sérieuses et responsables, et font un travail remarquable dans des conditions souvent très difficiles, il y a aussi dans plusieurs d’entre elles présentes dans ce pays, tout un ramassis de « baba-cool » et de « soixante-huitards » attardés, nostalgiques des chemins de Katmandou qu’ils n’ont pas connus, qui s’habillent « à l’afghane », s’assoient par terre et mangent avec leurs mains, se couvrent de patchouli, en pensant s’intégrer à la société afghane, causant ainsi d’énormes dégâts psychologiques et suscitant l’inquiétude parmi la population incrédule.

Sur le plan économique, les problèmes sont nombreux. Si la construction est en plein essor, il s’agit surtout d’investissements faits par des Afghans vivant à l’étranger et n’ayant pas l’intention de revenir s’installer au pays, et surtout du blanchiment de l’argent de la drogue et de la corruption, un sport national pratiqué avec maestria dans tout le pays et à tous les échelons. Enfin, le retour, volontaire ou forcé, de centaines de milliers de réfugiés Afghans du Pakistan et d’Iran (il en reste encore deux millions dans ce dernier pays), qui se sont, pour l’immense majorité installés à Kaboul, triplant en peu de temps le nombre d’habitants dans la capitale, crée des problèmes importants : infrastructures déficientes, coupures pluri-quotidiennes d’eau et d’électricité, chômage, délinquance et insécurité, augmentation du coût de la vie, etc.

Dans ce contexte, on comprend que certains soient partisans d’une négociation, ou au moins d’une discussion, avec les Taliban. Amitiés, Jean-Pierre

5ème épisode : Kaboul, Novembre 2006

L’hiver s’installe vraiment, il fait froid la nuit, et les montagnes alentour se couvrent de neige. Les Afghans s’emmitouflent, les Afghanes ont sorti leur « burka » d’hiver (c’est à dire la même qu’en été, mais, espérons-le, doublée) et les malheureux gardes de sécurité de nuit se regroupent autour de pauvres braseros pour ne pas se transformer en glaçons.

L’arrivée de l’hiver est traditionnellement ici, la marque d’une pause dans les combats, en attendant le printemps suivant qui débloque les cols et les routes. Mais des engagements violents ont eu lieu cette semaine dans le Sud, ainsi que quelques attentats-suicides qui viennent de se produire, dont 3 à Kaboul et dans la proche banlieue.

Sous prétexte d’économies, l’Assemblée nationale se prépare à décider de ravaler le ministère des Femmes au rang de simple direction. Déjà une mesure de rétrogradation de ce genre a atteint le ministère du développement des villes, et devrait concerner très bientôt celui de la lutte contre les narcotiques et celui des réfugiés.

A Kandahar, l’ancienne « capitale » des Taliban, une femme élue locale a été blessée dans un attentat dirigé contre elle (son mari est mort), un peu plus d’un mois après l’assassinat de la directrice des affaires féminines de cette province. Dans cette rubrique féminine, si on ose écrire, les horreurs succèdent aux horreurs : des femmes afghanes, pour échapper à leur sort, préfèrent encore se faire brûler vives (presque un cas par jour officiellement connu). Environ 80% des mariages sont des mariages forcés, et une fille qui ne serait pas mariée avant l’âge de 16 ans serait considérée comme quasiment un déshonneur pour la famille…    

C’était notre rubrique : la civilisation du XXIème siècle est en marche …. Merci les religions. On meurt ici de faim, de froid, d’absence de travail, d’absence de soins, d’absence de formation professionnelle, d’ignorance et d’obscurantisme, mais les heures d’enseignement obligatoire de la « culture » islamique viennent d’être doublées dans les universités afghanes : voilà une mesure qui s’imposait, dans le contexte économique florissant du pays, et qui va sûrement contribuer à améliorer le sort des femmes.

Pendant ce temps, la « communauté internationale », avec ses grands hommes politiques et ses grands stratèges, multiplie les sommets, réunions, groupes de travail, analyses d’experts, ateliers de réflexion, séminaires et autres « think tanks » (le grand nouveau « truc » très chic et très à la mode), avec de grands spécialistes qui, pour une modeste rémunération qui varie de 2.000 à 6.000 euros par jour, viennent expliquer ce qu’il faut faire pour régler tous ces problèmes, tout en respectant bien sûr les « traditions et les usages de ces cultures tellement intéressantes, et qui nous invitent à réfléchir sur notre civilisation occidentale si matérialiste, et à nous remettre en cause sur notre approche critique de ces sociétés, qui ont su préserver leurs valeurs avec tant de dignité, et nous montrent l’exemple de l’Homme qui a su rester en contact étroit avec la nature », etc… etc …

Tant d’âneries débitées aussi doctement pendant autant de temps (au tarif horaire de ces « experts », il faut faire durer le plaisir) c’est tout bonnement confondant.

Il faudra bien un jour que quelqu’un se pose sérieusement la question de savoir pourquoi l’ONU échoue systématiquement, depuis sa création, partout où elle vient se mêler des « événements », quand elle ne s’en rend pas complice ou même acteur. Une fois encore, le Général de Gaulle, qui n’appelait l’ONU que « le machin », avait raison. Et voilà maintenant que l’OTAN suit le même chemin.

En attendant, à force de se fourrer et de se fourvoyer sur les « théâtres d’opération», comme disent nos amis militaires, tous azimuts, sans se poser préalablement la question de savoir ce qu’elle va y faire, ce qu’elle est disposée à y faire, ce qu’elle veut exactement, et quels moyens elle est prête à se donner pour y parvenir, la « communauté internationale » s’embourbe chaque jour davantage, à un coût faramineux pour des résultats bien minces, sinon inexistants, et en tout état de cause, bien aléatoires (ex Yougoslavie, Chypre, Timor, et autres). Et pendant ce temps, les enfants meurent par milliers au Darfour et ailleurs …Un « détail de l’Histoire », sans doute, pour reprendre le détestable mot de qui vous savez.

Qui dira un jour les ravages causés par cette notion, si stupide que seuls les Américains pouvaient l’inventer, du « politiquement correct » ? Et qui dénoncera ceux qui découlent de cette nouvelle manie de la « repentance » qui affecte depuis quelque temps « les grands dirigeants » de ce monde ? Alors … en route pour la 3ème Guerre mondiale ? Mais je m’égare … revenons en Afghanistan !

Le Beaujolais nouveau, fidèle à sa réputation et donc toujours aussi mauvais, a coulé à flots dans les locaux de l’ambassade de France il y a quelques jours, donnant prétexte à toute la communauté française du pays (environ 250 personnes)  de se retrouver, ce qui n’est pas si facile ni donc si courant. Un moment de détente dans un univers de tracas pour chacun à son niveau et dans son domaine, dans cette océan de tristesse et de détresse qu’est ce malheureux Afghanistan.

Amicalement à tous, Jean-Pierre

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SuppliqueSupplique

La souffrance règne à peu près partout dans le monde. À des degrés divers et en déclenchant des traumatismes variés, à titre collectif ou individuel. Primo Levi écrivait dans Si c’est un homme : "Nous découvrons tous tôt ou tard dans la vie que le bonheur parfait n'existe pas, mais bien peu sont ceux qui s'arrêtent à cette considération inverse qu'il n'y a pas non plus de malheur absolu. Les raisons qui empêchent la réalisation de ces deux états limites sont du même ordre: elles tiennent à la nature même de l'homme, qui répugne à tout infini. Ce qui s'y oppose, c'est (…) l'assurance de la mort, qui fixe un terme à la joie comme à la souffrance. Ce sont enfin les inévitables soucis matériels, qui, s'ils viennent troubler tout bonheur durable, sont aussi de continuels dérivatifs au malheur qui nous accable et, parce qu'ils le rendent intermittent, le rendent du même coup supportable.”.

Je ne sais pas si les otages israéliens encore retenus dans les tunnels de Gaza, connaissent des dérivatifs au malheur qui les accable. Ce que j’ai de la difficulté à imaginer c’est la souffrance d’un bébé d’un an enfermé dans un endroit froid, humide, hostile (certaines sources évoquent son décès, non confirmé en Israël). Ce que j’ai de la difficulté à imaginer, c’est la souffrance de filles – et de garçons – violés encore et encore, et mutilés, et torturés, ce qui ne semble pas troubler les organisations féministes dénonçant les violences faites aux femmes. Pourquoi ce silence assourdissant ? Il faut d’autant plus saluer l’exception notable de « Paroles de femmes » à l’initiative de la pétition demandant à l’ONU la reconnaissance d’un féminicide de masse lié aux massacres du 7 octobre et à l’enlèvement d’otages.  

Il serait temps que tous, nous clamions notre indignation et signions cette pétition qui n’est pas politique mais humaniste : https://chng.it/NkDmhGvDXQ

Ce n’est pas prendre position dans un conflit dont l’horreur nous effraie, c’est dénoncer l’inacceptable commis par des assassins qui asservissent leur propre peuple, et demander à ce que cet inacceptable soit largement reconnu comme tel, faute de quoi aucune paix espérée n’aurait de sens.

BRING THEM HOME, en écoutant peut-être Bruce Springsteen qui reprenait en 2006 cet air et ces paroles d’un autre temps qui évoquait une autre guerre, et appelait à une autre paix.

https://www.youtube.com/watch?v=Mv4vW1FGnCQ

*

À bientôt, avec le n°9, qui accueillera deux nouveaux contributeurs : outre Fulvio, de Milan, Brigitte de Paris, d’Avignon et de tant d’autres lieux, tiendra quelques propos d’ambiances et de décors dans la vie quotidienne…

Vous appréciez cette Lettre ? Faîtes-la connaître ! Diffusez-la dans votre environnement ! Merci !

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Mémoires Vives

Par Sylvie Lainé

Auteure d’ouvrages de management et essais personnels, conférencière. Curieuse de tout, de rien, de ce qui passe, des informations venues du monde qui change, des paysages, des gens.

Parcours professionnel : stratégie, communication institutionnelle, management, conduite de changement, ingénierie et animation de formation comportementale, coaching de dirigeants et équipes de direction, évolution culturelle des organisations, négociation et communication interculturelle.

Langues d'intervention : français, anglais, italien

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