Sous le ciel de Vienne, surgissent les images d'amitiés disparues, regrettées... La vieillesse est une bibliothèque de souvenirs. Où sont allés ceux qui ne sont plus ? Gardons en nous le bruit de leurs rires, et la chaleur de leur fidèle présence. Et continuons à nous occuper de nous et à nous préoccuper du monde qui tremble.
QUE SONT MES AMIS DEVENUS ?
FEUILLES D’AUTOMNE, MEMOIRE MORTE
VOYAGES, VOYAGE : REVOIR VIENNE, MEMOIRE D’AUTRICHE
DONALD, PLEASE, DON’T EAT MY CAT!
L’ÂGE D’AGIR : LA JOURNEE DES AIDANTS
Sans nos amis, comment aurions-nous résisté aux défis et aux tempêtes d’une longue vie ? Certains ont disparu ; nous en avons perdu d’autres au long des routes qui s’éloignent les unes des autres. Certains ne donnent plus de nouvelles depuis bien longtemps. Ceux qui sont morts, on peut les pleurer, c’est une consolation. Mais ceux dont on ne sait s’ils sont morts ou vivants, comment penser à eux ?
S., célibataire sans enfant, est restée quasi injoignable pendant 30 ans, tant ses fonctions l’accaparaient, tant elle était attachée à l’entreprise, tant importante était la partie de sa vie consacrée à son métier. Or, un jour, pas si lointain, l’organisation à laquelle elle avait tant donné l’a remerciée avant l’heure, comme beaucoup d’autres de ses collègues. Etaient-ils ‘trop’ vieux ? Etait-elle ‘trop’ vieille ? Etaient-ils bons à jeter, ayant ‘trop’ servi pour être encore utilisables ? Comment S. allait-elle réagir et vivre cette liberté nouvelle ? Par chance, elle pouvait compter sur de nombreux atouts : son goût du théâtre - elle déclamait Racine dans le texte -, l’affection pour son piano dont elle jouait chaque jour, ses habitudes de grande voyageuse devant l’éternel, sa capacité d’engagement pour les projets et causes qui la faisaient vibrer, son aspiration à partager ses activités avec ses amis si divers et auxquels elle était si fidèle, souvent depuis plus de 40 ans. Après ce ‘départ anticipé’ comme on dit, sa loyauté envers l’entreprise qui lui avait indiqué la sortie est restée grande. Mobile, adaptable, curieuse de découvertes et de nouveauté, elle s’est tournée vers ‘autre chose’ sans nostalgie apparente.
Je la désigne par sa seule initiale de prénom par discrétion et respect. S. vit à Paris, dans un lieu qu’on appelle EHPAD, appelons-le Résidence, car il est convivial et remarquablement géré, semble-t-il. Il y a peu d’années, lorsqu’elle a annoncé à ses proches sa ‘pathologie’ comme elle disait (depuis quelque temps, plusieurs craignaient cette issue), elle a pleuré, ce qui était rare. Celles qui lui rendent visite la retrouvent pareille à elle-même, enfin pas toujours, plus maigre encore sans doute, au regard trop lointain j’en ai peur. Pareille à elle-même en somme mais si différente.
Longtemps, je lui téléphonais assez régulièrement. La dernière fois que je l’ai fait, elle ne m’a pas reconnue. Elle ne savait pas qui j’étais. Aujourd’hui, je fais partie du groupe Whats App de son fan club, composé de soeurs, de cousines, de nièces, d’amies, qui donnent des nouvelles, envoient des photos et lui rendent visite. Merci à elles, du fond du coeur.
“Je voudrais tant que tu te souviennes, Des jours heureux où nous étions amis…
Les feuilles mortes se ramassent à la pelle… Les souvenirs et les regrets aussi”
Cette année 2024, l’automne a commencé le dimanche 22 septembre, jour d’équinoxe. La veille, samedi 21 septembre, était la Journée mondiale Alzheimer, cette maladie neuro dégénérative que nous craignons tous, parce qu’elle nous fait perdre progressivement tous nos apprentissages. Parce qu’elle prive environ 900 000 personnes en France des outils pour vivre normalement en société. Parce qu’elle est actuellement incurable. Les traitements visent ‘seulement’ à en ralentir la progression des symptômes et à améliorer la qualité de vie et le bien-être : soutien psychosocial, stimulation cognitive, orthophonie, kinésithérapie, musicothérapie et art-thérapie, accompagnement des aidants. Aujourd’hui, une personne sur deux ignore qu’elle est atteinte de cette maladie et ne l’apprendra qu’à un stade avancé. S. avait compris et s’est vue confirmer qu’elle en était atteinte à un stade relativement précoce. Est-ce un bien ou une souffrance supplémentaire de savoir avant et pendant ? Est-ce un bien de pouvoir mesurer l’évolution de sa dégradation cognitive, de s’accrocher à une conscience capricieuse et trop brève de la réalité ? Comment s’interdire alors de se poser l’ultime question : la vie dans une telle situation vaut-elle encore la peine d’être vécue ? Et comment se la poser à temps, avant de ne plus être en capacité de le faire ?
Sommes-nous atteints de cette maladie ? Comment distinguer ses premiers symptômes de ceux liés au ‘simple’ vieillissement ? Perdre des objets mais se souvenir de les avoir perdus est un signe positif, parait-il. D’une manière générale, les personnes atteintes d'Alzheimer ne sont pas vraiment conscientes de leurs troubles (anosognosie). Les pertes occasionnelles de mémoire affectent-elles la vie quotidienne ? Nous arrive-t-il d’être désorientés, hésitants sur le lieu où nous nous trouvons, ou la date d’aujourd’hui ? Sommes-nous capables de répondre à ces fameuses 3 questions, que je ne dévoile pas, ce serait tricher n’est-ce pas. Votre médecin les connaît comme tous ceux d’entre vous dont un/e proche est atteint/e.
En savoir plus : de nombreuses ressources et sites renseignent sur Alzheimer. Peut-être le plus accessible à tous et pourtant assez complet : https://www.vaincrealzheimer.org // Des conférences pour stimuler sa mémoire, notamment à travers l’art (en partenariat avec l’Agirc-Arrco) suivies de cycles gratuits de visites virtuelles : https://www.happyvisio.com/
À chaque passage à Vienne, il faut visiter les magnifiques appartements de la triste impératrice Elisabeth, si belle, si seule en ses palais, mère orpheline de ses enfants, si mince, voyageuse vagabonde et assassinée. Elle ressemble un peu à S., l’une et l’autre d’une maigreur aristocratique, souriantes toujours et malgré tout, aimant la musique et le théâtre, solitaires et entourées, sportives et studieuses, élégantes et simples.
‘Grüssgott !’ Il faudrait saluer ainsi les deux millions de Viennois et même - soyons fous ! - les quelques 9 150 000 Autrichiens (Eurostat 2024) - dont environ 85% de catholiques -, installés sur leurs 83 000 km2 de montagnes et un long morceau de beau Danube bleu. Patrie d’adoption de Metternich - qui eut l’honneur d’un sans faute à la fameuse dictée de Mérimée -, cet Etat parlementaire fédéral de 9 Bundesländer dont Vienne, élit pour 6 ans au suffrage universel direct (oui, comme chez nous) son Président, qui nomme le Chancelier fédéral. Le Parlement fédéral se compose de deux chambres: la chambre basse (NationalRat), membres élus au suffrage universel direct, et la chambre haute (BundesRat), membres élus par les parlements régionaux. La République fut rétablie dès 1945, mais la souveraineté de l'Autriche ne le fut qu’en 1955, année de fin de la période d’occupation en 4 zones (USA, Grande-Bretagne, France et URSS). Son adhésion à l’UE date de 1995. L’Autriche a tant contribué à la culture européenne depuis Le Chant des Niebelungen (vers 1200), que tous les Européens lui doivent une certaine reconnaissance. Certes, on se souvient davantage des témoins impitoyables de son histoire récente, Freud, Rilke, Zweig, d’autres... et même Sacher-Masoch (à ne pas confondre avec la Sacher Torte, cette pâtisserie qui porte presque le même nom). La période bouleversée qu’ils évoquent se reflète dans les ombres angoissées des toiles d’Egon Schiele, et, d’une autre façon, dans les brillances exubérantes de celles de Klimt, lancées dans la Vienne du début de siècle, comme une invitation à l’ultime fête d’un Empire fatigué. Quant aux musiciens autrichiens - Haydn, Johann Strauss, Bruckner, et bien sûr notre très cher Wolfgang Amedeus de son petit nom (600 oeuvres tout de même) -, ils nous enchantent tant, depuis si longtemps, qu’on les croit ‘à nous’, alors que d’autres, au romantisme écorché, tel Mahler– avec ses “Kinder Toten Lieder”, par exemple - , nous font plutôt pleurer. Souvenons-nous aussi de Bertha von Suttner ( morte en 1915), pacifiste, écrivaine et journaliste, première femme lauréate du prix Nobel de la paix en 1905. Et, bien sûr, grâce à son ‘chat’, nous est connu le nom du physicien Erwin Schrödinger, mort en 1961, autre prix Nobel (en 1933), pionnier de la mécanique quantique, auteur de l’équation de Schrödinger. Ne m’en demandez pas plus, je n’y ai jamais rien compris à part qu’un chat y joue le rôle central.
Il suffit, pour sourire et (presque) être heureux, de se promener dans Vienne, d’admirer ses beautés, d’échanger avec ses habitants, pour tomber sous le charme de cet allemand chantant, plus ‘süss’ qu’en Allemagne, un autre allemand en somme. Cette courtoisie, élégante (vaguement italienne du Nord), légèrement surannée, est rassurante. Les “autres” Autrichiens, ceux qui n’ont pas la chance d’être Viennois, s’en moquent parfois, en usant, à leur endroit, du terme de ‘schmalzig’, qui signifie, en gros, qu’ils en ‘rajoutent’ un peu trop. Souhaitons qu’ils restent ce que nous aimons qu'ils soient, souhaitons qu’ils se souviennent de leur histoire face à la montée de l’extrême-droite. Si le président de la République est l’écologiste Alexander Van der Bellen réélu pour un second sixtennat le 9 octobre 2022, le FPÖ (parti de la liberté d’Autriche aussi appelé Parti libéral autrichien) est donné en tête dans les sondages précédant les législatives qui se tiennent en ce moment, 29 septembre 2024. Déjà, le 9 juin dernier, le FPÖ, s’était imposé lors des élections européennes avec 25% des voix, grâce au travail effectué par Herbert Kickl, patron très radical de cette formation, après les années de crise suite au scandale de l’Ibizagate (un enregistrement paru en 2019, montrant qu'en 2017, à Ibiza, 2 principaux représentants du FPÖ se montraient prêts à vendre le pays à un oligarque russe en échange de contrats de chantier public). Ce scandale mit fin à la carrière d’Heinz-Christian Strache alors dirigeant du FPÖ et vice-chancelier d’Autriche, et ouvrit la voie à Herbert Kickl, 55 ans, politicien sans diplômes, ministre de l’Intérieur dans le dernier gouvernement de coalition entre le FPÖ et le Parti populaire autrichien avant l’Ibizagate. Ce partisan de la provocation permanente, aux discours violents, secoue et mobilise tout en inquiétant cette société de consensus qu’est l’Autriche contemporaine.
Rappelons qu’en 2016, au cœur de la crise migratoire de l’UE, l’Autriche fit ériger le premier mur entre deux pays de l’Union européenne, une barrière sur le col du Brenner qui la sépare de l’Italie.
En savoir plus : https://www.touteleurope.eu/pays/autriche/
Qu’en pensez-vous ? Percevez-vous la démocratie comme menacée ?
Deux abonnés de Joyeuses Saisons vivent à New-York. Franco-américains, ils ont accepté de nous faire part de leurs visions de ce qui se joue dans ces élections cruciales pour leur pays d’adoption. Merci Isabelle et Yves ! Dans le prochain numéro, ils nous feront partager leurs avis. D’ores et déjà, pour ceux d’entre vous qui veulent approfondir le sujet, Isabelle nous suggère 2 newsletters, pas très connues en France, auxquelles s’abonner. Letters from an American, d’abord. L’auteure - Heather Cox Richardson - est une historienne connue qui rappelle les événements passés projetant un écho dans le présent ; elle y explique l’histoire qui conduit aux événements politiques actuels. Court, enrichissant et facile à lire pour développer sa connaissance de la politique américaine : Letters from an American heathercoxrichardson@substack.com a newsletter about the history behind today's politics. Elle nous conseille également The Borowitz Report borowitzreport@substack.com souvent hilarant selon elle. Jack Vance est l’une des cibles favorites. Exemple extrait de la parution du 16 août dernier : ‘A study published by the University of Minnesota Medical School ‘strongly indicates’ that people who are exposed to Sen. JD Vance lose all interest in activity that would lead to reproduction.’ According to Dr. D. Logsdon, who supervised the study, ‘Research subjects exposed to JD Vance became less likely to reproduce and more inclined to acquire a cat.’
Quant à Yves, il nous confie ceci : “C'est un challenge de (…) présenter des éléments "palpables" aux lecteurs de Joyeuses Saisons. Ils ne baignent pas dans la comédie américaine. Par comédie je ne veux pas dire "comique", mais une scène bien huilée si bien décrite par Alexis de Tocqueville : la singularité des États Unis réside dans le fait que ce pays est une fédération d'Etats d'une grande autonomie qui peuvent passer outre aux injonctions du président, et sont très créatifs pour ce faire. Le clown et roi de l'enrichissement grâce à sa maîtrise des lois sur la faillite dans les années 80 n'est qu'un luxe que la démocratie américaine a pu se permettre. That's entertainment. La constitution de 1787 régit encore, et avec peu de changements (les amendements), les rapports entre le gouvernement fédéral et les états. Une des raisons pour lesquelles j'ai décidé de rester aux États-Unis (39 ans quand même) est que les Américains sont très pragmatiques et foncièrement optimistes ; ils savent s'adapter très rapidement au changement voulu ou subi. (…). C'est une vertu du libéralisme, si critiqué mais qui finalement fait tellement d'envieux. Réflexion faite, je vois les États-Unis plus proches de l'Italie que de la France. J'écoute tous les matins France 2 sur internet et je trouve son point de vue assez juste dans sa vision de ce qui se passe aux États-Unis, l'humour des chaînes américaines exceptée. Donc, si vous voulez savoir ce qui se passe aux US, pratiquez cette antenne.
À bientôt, Isabelle et Yves !
Vous aidez l’un de vos proches atteint de troubles de la mémoire ? Dans le cadre de la Journée des aidants, le 4 octobre, l’Agirc-Arrco organise 60 événements partout en France, pour aider les aidants à prendre soin d’eux autant que de leurs proches. Forums, conférences, ciné-débats, ateliers… Découvrez le programme sur le site AGIRC-ARRCO / Journée des Aidants.
Vous souhaitez contribuer aux efforts de ceux qui luttent contre la maladie d’Alzheimer ? https://donner.vaincrealzheimer.org/