LETTRE N°2 : VIEILLIR EN S'IMPLIQUANT ... VILLE ET CLIMAT : MÊME COMBAT ?
Le calme semble revenu. L’inquiétude demeure. Une pichenette, et hop ça repart, craint-on.
Qui sont ces jeunes qui brûlent, cassent, volent ? Qui sont leurs parents, montrés du doigt, vilipendés de toute part, parce qu’ils auraient abdiqué et renoncé à exercer toute autorité face à leurs chères têtes généralement pas très blondes ? Les violences urbaines sont-elles une fatalité, un événement nécessairement récurrent, de périodicité variable et de survenue certaine ?
Les “quartiers”, sur le désastre desquels pointe le numéro du 6 juillet 2023 de l’Express, sont-ils condamnés à rester ce qu’ils sont, des lieux de grisaille et de béton, que l’on fuit dès qu’on le peut ? Une (très) vieille dame de ma connaissance disait il y a bien longtemps (aujourd’hui, elle n’oserait plus bien sûr) : “Il ne faut pas habiter chez les pauvres.”. Ceux des cités qui percent les murs pour envahir l’ascenseur social suivent généralement ce conseil politiquement incorrect. Oserait-on leur donner tort ? Je m’en garderai bien, vivant à La Baule, “le pays des vacances”. Les vitrines ne s’y brisent pas, les voitures n’y flambent pas, même les très chères, il y fait beau plusieurs fois par jour et on peut s’y promener dans ses allées à toute heure sans risquer d’y être agressé.
À vrai dire, les débordements des jeunes en colère, qui ont remplacé le dialogue par la rage, par peur de n’être plus entendus, m’inquiètent moins que notre aveuglement climatique, collectif et peut-être sans espoir de réelle prise de conscience. Comment survivront-ils, ces adolescents révoltés, dans le monde futur tel qu’il nous est décrit ?
Le très fameux Groupe d'experts inter gouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) alerte : le rythme de hausse de la température globale conduira à dépasser le seuil de 1,5°, objet de l’engagement mondial pris lors de la COP 21, en 2015. Et ce dépassement aura de fortes conséquences sur l’alimentation, l’eau, l’habitat.
La fréquence et l’intensité des « anomalies climatiques » - vagues de chaleur ou de froid, sécheresses, incendies, inondations, tempêtes - vont s’accentuer Elles seront toujours plus meurtrières et destructrices. Les mécanismes naturels d’absorption du carbone (des océans et forêts) seront de moins en moins efficaces. Certaines conséquences du changement climatique - montée du niveau de la mer, fonte des calottes glaciaires - seront irréversibles. L’écosystème planétaire atteint des “points de basculement”. Ceci explique pourquoi les sept dernières années furent les plus chaudes jamais enregistrées et pourquoi le projet de 6ème rapport du GIEC (2022) évoque une humanité courant à sa perte : «L'humanité est sous la menace d'impacts irréversibles. La vie sur Terre peut se remettre d'un changement climatique majeur en évoluant vers de nouvelles espèces et en créant de nouveaux écosystèmes. L'humanité ne le peut pas.».
Voici, en quelques phrases, ce que j’ai retenu d’une passionnante conférence sur ce sujet à laquelle j’ai assisté il y a quelques jours.
Parce que le monde que nous connaissons est différent de celui que nous avons connu, nous devons reconsidérer notre façon de vivre, de nous nourrir, de nous loger, de nous déplacer. Je crains pour le futur de ces jeunes adultes qui pensent n’avoir d’autre moyen d’expression que les cris et la délinquance.
Depuis plus de 40 ans, on parle à leur propos de faillite de la politique de la ville. Le ministre en charge du domaine s’étrangle et demande qu’on n’en fasse pas le procès. Née en réponse à des émeutes, telles celles en 1989 de Vénissieux et Vaux en Velin, elle a, depuis, très concrètement, “fait le job” : investir des milliards dans la rénovation de quartiers prioritaires, l’installation d’équipements publics, l’amélioration des transports de désenclavement, l’encouragement à la mixité sociale. Comment se fait-il, alors, que les bénéficiaires de ces « largesses » se perçoivent encore et toujours comme des citoyens de seconde zone, trahis par un Etat ennemi public n°1 ?
Est-ce parce que les questions posées il y a 40 ans et depuis 40 ans sont des questions pérennes ?
Je viens de relire une intéressante thèse de 1992, publiée en 1993, il y a un peu plus de 30 ans, intitulée : “Politique de la ville : Europoles et banlieues, de l’excellence à la précarité.” Permettez-moi de vous en faire découvrir quelques morceaux choisis.
Rapport FNEP n°23, publié en 1993
Morceaux choisis :
« Les révoltes qu’ont connues les banlieues ne sont-elles pas davantage une réaction à l’absence de dialogue que la manifestation d’une délinquance généralisée ? Ces explosions restent un signal de désespoir que nul ne peut négliger. Qu’une jeunesse en âge de protester ne trouve pas d’autres moyens de s’exprimer que la révolte montre l’ampleur de l’enjeu. »
« Les discours sur les banlieues ou, plus généralement, sur les quartiers dégradés, se concentrent sur les phénomènes d’exclusion et d’explosion sociale. Ils concourent à accroître le sentiment de précarité et d’insécurité des habitants et à stigmatiser, à travers un territoire, les populations qui y vivent. »
« L’action sur l’exclusion passe par l’organisation des services publics, souvent trop peu présents dans les quartiers en difficulté. (…) Mais le manque de motivation des agents publics est patente : ils sont souvent là par hasard, peu payés ou sans véritables compensations financières, jeunes et sans grandes perspectives de carrière. (…) Enfin, ces services publics implantés en zones sensibles, seuls repères visibles de l’Etat, servent de cibles aux manifestations ou révoltes parfois violentes. Les lycées flambent, les commissariats de police sont attaqués… »
« L’exemple français est riche d’enseignements en termes de manque d’unité d’action des politiques urbaines. En effet, aux cloisonnements administratifs répond la complexité du système d’acteurs, notamment depuis la décentralisation. »
« Le problème essentiel réside dans le fait que chaque politique sectorielle possède une logique propre. Or, comme sur un échiquier, toute action provoque une réaction sur les autres éléments du jeu social. »
« L’exclusion est aussi culturelle car étant dans la « tête » des habitants. Des normes collectives, des préjugés, des appréhensions se conjuguent pour aggraver le sentiment de rejet. Et ce qui est exclusion aux yeux du plus grand monde est, pour ces « rejetés » du système, insertion dans une société parallèle, plus proche. Un éducateur témoigne : « des jeunes de 14 à 18 ans font vivre toute leur famille grâce à une économie souterraine. (…) Dès lors, toute politique menée de l’extérieur, non ancrée à cette réalité, se heurte à une culture différente. (…) Une autre conséquence est de favoriser les regroupements culturels ou ethniques. (…) Le sentiment d’insécurité se développe, favorisant les réactions xénophobes.(…) Au sein d’un univers où le travail salarié n’est plus accessible à tous, les codes sociaux se pervértissent : utilisation maximale des mécanismes d’assistance, auto habilitation à acquérir ce à quoi l’on n’a pas accès, initiation des plus jeunes par les plus grands… Des micro-lois s’imposent. (…) La formation des policiers doit être adaptée à la structure sociale du quartier sur lequel ils vont travailler. »
« Quels sont aujourd’hui, quels seront, demain, les ciments de la société urbaine ? La crise urbaine n’a fait que révéler la perte d’identité collective : où et par qui va se jouer le rôle autrefois dévolu à l’école, à la conscription, au travail et aux réunions villageoises ? »
Ce rapport ne se limite pas aux constats. Il aborde bien sûr, avec pertinence, des pistes d’action. J’ai choisi de ne pas les signaler : elles ont fait l’objet d’expérimentations nombreuses et parfois réussies sur la durée.
Reste qu’il n’y a rien de bien nouveau sous le soleil !
Penser l’avenir pour agir au présent
Publié dans le cadre d’une mission collective de la Fondation nationale Entreprise et performance (FNEP), ce travail a réuni 15 jeunes cadres d’administrations publiques et d’entreprises, de formations et d’expériences professionnelles très diverses. Leur production collective s’est appuyée sur nombre d’entretiens en France et à l’étranger. Lieu d’échanges et de débats sur des sujets majeurs actuels, la FNEP analyse l’économie, le management de la performance, ou l’incidence des transformations sociales et sociétales.
Au service des entreprises et de l’Etat, elle est l’acteur reconnu d’un partenariat public-privé plus efficace.
En savoir plus : https://fnep.org/
L’âge d’AGIR
Nombreuses sont les actions d’accompagnement des jeunes. La SMLH (Société des membres de la Légion d’honneur), par exemple, soutient depuis plus de 15 ans, l'apprentissage comme filière d’excellence, et décerne chaque année localement et à l'échelle nationale un prix des apprentis.
Les décorés, bénévoles, interviennent également dans les établissements scolaires, pour « raconter » leur histoire et transmettre les valeurs républicaines et de civisme, et les vertus du « vivre ensemble ».
L'initiative individuelle est largement encouragée, à travers le tutorat ou le parrainage, par exemple en coopération avec la Fondation Un Avenir Ensemble, reconnue d’utilité publique, présidée par le grand chancelier de la Légion d’honneur, Elle propose aux décorés de s’engager aux côtés de jeunes méritants issus de milieux défavorisés pour les aider à accomplir leurs études et à s’insérer dans la vie professionnelle. Cette relation « parrain / filleul » s’inscrit dans la durée : du lycée jusqu’à l’insertion professionnelle.
En savoir plus : https://www.smlh.fr/ Et site de la Fondation un Avenir ensemble